mercredi 7 novembre 2007


Gays et lesbiennes âgés: Une génération à bichonner
Aux Etats-Unis, chercheurs et entrepreneurs s’intéressent de plus en plus près à ce nouvel enjeu social et démographique: les lesbiennes et gays âgés.

Nadja Simko
novembre 2007

Pour en savoir plus
Barbary Lane Senior Communities
http://www.asaging.org/
http://www.sageusa.org/
Avoir du temps à consacrer à leurs loisirs et intérêts, aux voyages ou à la détente. C’est ce qu’ont répondu les baby boomers de la communauté gay quand on leur a demandé ce que signifiait pour eux la retraite et le troisième âge*. Mais pas seulement. Parce que l’âge d’or, comme on se plaît à l’appeler, n’a pas le même éclat pour tous. «En vieillissant, les LGBT sont confrontés à toute une série de problèmes, dont la majorité ont trait à une crainte de la discrimination», observe Kimberly Acquaviva, professeure assistante à l’Université George Washington. «Et cette peur, fondée sur leurs expériences passées, fait qu’ils ne vont souvent pas demander l’aide dont ils ont besoin.»
D’une génération à l’autre«La situation varie d’une génération à l’autre», observe pour sa part Gerard Koskovich, responsable des questions LGBT pour la American Society on Aging (ASA). Et les seniors de 70, 80 ans ou plus ont en effet leur propre rapport au silence. Tenus tout au long de leur vie d’être discrets sur leur identité sexuelle, ils ont appris, normalisation sociale oblige, à ne s’ouvrir qu’à un cercle restreint de proches. Mais cette façon de vivre devient difficile lorsqu’il s’agit d’accéder à des soins ou d’intégrer une maison de retraite conventionnelle», explique Koskovich. Aussi ces seniors se sentent-ils parfois contraints de s’isoler de leur cercle de proches, de ceux qu’ils nomment leur «famille d’adoption», pour éviter d’afficher trop ouvertement leur homosexualité face aux structures d’aide et de soins.Et, bien que différente, la perspective des baby boomers LGBT n’est pas toujours plus enviable. «Plus jeune, cette population a, pour la plupart, affirmé plus ouvertement sa sexualité et son identité de genre, ajoute le professionnel de l’ASA. L’homosexualité, aux Etats-Unis et particulièrement dans les grandes villes, s’est vécue de façon presque communautaire, avec nombre d’associations et organisations.» Aussi en vieillissant, ces retraités, habitués à une attitude d’ouverture, recherchent-ils les institutions nécessaires au maintien de ce mode de vie. Sans toujours les trouver. Et le manque de structures adéquates les renvoie dès lors à la même peur: celle de la discrimination.


Un retour au placard


Dans une recherche publiée en 2006 par MetLife*, moins de la moitié des LGBT américains de la génération des baby boomers se disent confiants que le personnel soignant les traitera avec respect. «Ils craignent d’être rejetés ou traités avec moins d’attention ou de sympathie s’ils nomment leur homosexualité», observe Dan Ashbrook, directeur de Lavender Seniors of the East Bay, un réseau de soutien pour les LGBT vieillissants dans la région de San Francisco.A tel point d’ailleurs que certains même seraient prêts à passer sous silence leur orientation sexuelle. Comme si, après des années d’identité affirmée, ils se sentaient forcés de «retourner dans le placard». Selon des études, 90% des LGBT américains n’ont pas d’enfants (contre 20% pour l’ensemble des personnes âgées). Ce sont les lesbiennes qui se disent les plus angoissées par une possible discrimination à leur encontre. «Cela s’explique par la fait qu’elles font face à la ségrégation relative à leur identité sexuelle d’une part et vivent dans une société qui marginalise les femmes d’autre part, observe Gerard Koskovich. Elles cumulent donc les difficultés. Et, les différences salariales étant ce qu’elles sont, elles ont à redouter à la fois une vulnérabilité accrue et une précarité financière.» L’isolement et la solitude auxquels sont confrontés les LGBT en vieillissant peuvent aussi conduire à d’autres difficultés, d’ordre pratique notamment. Ainsi, sans précautions prises, personne n’est habilité à prendre de responsabilité en termes de décisions médicales. «En l’absence de personne désignée, la décision relative à des soins intensifs ou continus revient alors directement à la famille biologique, avec laquelle les liens de confiance sont souvent rompus», regrette Kimberly Acquaviva.Reste que, pour parer à ces difficultés, la communauté LGBT américaine s’organise peu à peu. Les maisons de retraite «gay-friendly» se multiplient et le pays compte désormais plusieurs résidences spécifiquement conçues pour les LGBT. «Aux Etats-Unis, où la diversité culturelle est si forte, les homes destinés à une population particulière ont une longue histoire. La communauté juive et les églises protestantes ont, il y a plus d’un siècle, créé les premières maisons de retraite. Les Italiens, les Arméniens et d’autres groupes d’immigrés ont suivi. Même les syndicats ont construit leurs propres homes. En ouvrant des maisons dédiées aux LGBT, nous ne faisons qu’épouser le système américain … à notre manière», conclut, avec une pointe d’ironie, Gerard Koskovich.


Home sweet home


Barbary Lane est une maison de retraite inspirée de la célèbre série de romans Chroniques de San Francisco, d’Armistead Maupin. D’ailleurs, les responsables de ce projet résidentiel ont pris soin de nommer les pièces selon les héros des Chroniques. «Nous avons voulu créer un établissement pour les LGBT du troisième âge avec des programmes spécifiquement adaptés à leurs besoins et intérêts – qu’il s’agisse d’événements culturels ou de réseaux d’aide», explique David Latina, président de Barbary Senior Communities, la société à l’origine de plusieurs projets de homes spécialisés. Cette maison de retraite qui accueillera ses premiers résidents au mois de février prochain, illustre un phénomène relativement récent: la multiplication des homes spécifiquement dédiés aux LGBT. «Très schématiquement, on parle de trois générations, observe David Latina. Celle des LGBT dits «GI’s», de la deuxième guerre mondiale, âgés de 90 ans ou plus et dont la caractéristique est un conformisme auto-protecteur. Puis est venue la génération silencieuse, qui a dissimulé son homosexualité et accepté une forme de normalisation sans pourtant l’approuver, suivie des baby boomers. Ces derniers ont transformé la notion de maison de retraites.» Par leur volonté d’afficher leur identité et, surtout, leur esprit d’indépendance, ils ont imposé les notions de choix individuels et de besoins propres à une communauté. Mais surtout, comme le précise le président, en 2000 la population des LGBT a, pour la première fois, été quantifiée par le recensement américain. Ainsi, on chiffre à plus de trois millions les LGBT de plus de 65 ans. En 2030, cette même population devrait compter six millions d’individus*. Et qui dit quantifier une population spécifique dit identifier un marché. Aussi y a-t-il fort à parier qu’à l’avenir Anna Madrigal et Michael Mouse pourront enfin choisir, pour leurs vieux jours, entre de nombreux «sweet homes». N.S.
http://www.barbarylanesenior.com/