dimanche 23 septembre 2007

vendredi 14 septembre 2007

Homosexualité en Jamaïque...



Gloire à la musique de Jah !
Made in Jamaica. Le film énergique de Jérôme Laperrousaz donne à voir la Jamaïque d’aujourd’hui à travers les textes de grands artistes de l’île qui a vu naître l’illustre Bob Marley. Le réalisateur revient sur la conception et les thèmes abordés dans son œuvre.

DOSSIERS Cinéma

Comment vous est venue l’idée de faire un tel film ?
En 1977-1978, j’ai rencontré Marley et on avait décidé de faire un film ensemble. Je trouvais que cette musique était intéressante par sa rythmique, comme un battement de cœur, et ses textes sur l’esclavage et sur la vie quotidienne. Un peu plus de 25 ans plus tard, j’ai trouvé important de faire un constat sur cette musique écoutée partout dans le monde. Toutes les générations dansent dessus, c’est une musique fédératrice qui touche quelle que soit notre origine ou notre culture. C’est une musique extrêmement puissante qui symbolise le rayonnement de la Jamaïque, qui a pour beaucoup construit son identité sur sa musique. Elle a subi quatre siècles d’esclavage et n’est indépendante que depuis 1962. Donc il est extrêmement intéressant que la société se reconstruise à travers le reggae, issu des ghettos de Kingston et un peu de la campagne. Au final, aussi bien le reggae de Marley ou la dancehall sont nés dans les ghettos. Ce dont les chanteurs parlent convient à tous les ghettos du monde, que ce soit celui de Seine-Saint-Denis, de New-York ou d’Amérique du Sud. Cette musique a une portée universelle.
Dans le film, on a l’impression que les artistes sont comme des dieux. Notamment quand le chanteur de dancehall Bogle est abattu, on voit les gens complètement effondrés…
Ces artistes ne sont pas des dieux, mais des icônes très respectées, des stars et des leaders d’opinion très importants pour le peuple des ghettos de Jamaïque. La population fait attention à ce qu’ils peuvent dire, car leur musique est un commentaire de la vie quotidienne.
L’esclavage est toujours très présent dans les chansons…
L’esclavage n’est ni une chose à oublier ni à négliger. Le pays n’est indépendant que depuis 1962. Il est passé de l’esclavage à la colonisation et là il est dans une situation post-coloniale. Donc c’est normal qu’il y ait cette envie de raconter ce passé, cela fait partie de la construction identitaire de savoir qui on est et où on va. Les artistes parlent aussi beaucoup de l’esclavage mental, de ce que l’on peut vivre dans un pays du tiers-monde où les choses sont parfois très difficiles.
Dans les chansons du film, on n’en entend pas une seule qui est homophobe, alors que certains artistes ont des textes très violents envers les homosexuels. Pourquoi ?
Je suis contre toute forme de discrimination. Je suis complètement opposé à l’homophobie, que je trouve inacceptable. Les avancées sociales sont plus rapides dans les pays occidentaux avancés. Mais quand on va en Jamaïque, on se rend compte que les choses évoluent. La Jamaïque est un pays assez archaïque où la religion prend une grande place et il est regrettable qu’on applique les préceptes de la bible – qui disent qu’un homme ne doit pas aimer un homme et qu’une femme ne doit pas aimer une femme. Mais au-delà de ça, les choses bougent dans le bon sens. Les textes dont vous parlez date de quatre ou cinq ans. Et les artistes et les associations d’homosexuels (notamment l’organisation britannique OutRage !) ont passé un accord en présence de Scotland Yard (la police londonienne, ndlr) pour qu’il n’y ait plus de textes homophobes chantés. Et je pense que les associations gay ont bien fait de réagir vivement et il faut encourager à faire bouger les choses.
Aviez-vous songé à parler de l’homophobie dans votre film ?
J’ai souhaité traiter l’homosexualité, mais je ne voulais pas le faire de façon superficielle. Or cela prend du temps, il m’aurait fallu 50 ou 60 minutes et je ne pouvais pas me le permettre. Mais encore une fois, les choses bougent et l’homosexualité et les homosexuels sont de plus en plus acceptés. Il y a une espèce de mode de l’homosexualité chez les femmes, qui la vivent comme une émancipation vis-à-vis des hommes. Lady Saw et Tanya Stephens (qui apparaissent dans le film) jouent d’ailleurs un rôle important dans l’émancipation des femmes. Je pense que l’avenir de la Jamaïque passe par les femmes.
Des artistes, dont Lady Saw, parlent de sexe de façon hardcore comme les hommes parce que les textes mielleux n’ont pas la cote…
Cela fait partie de l’émancipation. Je ne suis pas des gens qui considèrent avec mépris ou condescendance ceux qui parlent librement de sexe. Surtout que leurs textes sont une vraie poésie de la rue. Ces artistes mettent les femmes dans une position où elles revendiquent le droit au sexe, au plaisir et donnent leur regard sur les hommes. Certaines de ces chansons sont devenues des hymnes pour les femmes en Jamaïque. Lady Saw a été bannie des radios et des festivals à cause de ce qu’elle chantait mais elle a fini par gagner parce qu’elle était soutenue par les femmes, et aussi par les hommes, parce qu’elle est très bonne dans le dancehall. Aujourd’hui, c’est une porte-parole des femmes qui utilise sa musique comme outil de libération des femmes.
Le film est un véritable clin d’œil au rêve jamaïcain. Comment définiriez-vous ce rêve ?
C’est la volonté de s’en sortir, de quitter le ghetto et de devenir une star. Comme dit Elephant Man, « j’ai prié pour que Dieu fasse de moi une star, et il m’a exaucé ».
Habibou Bangré, afrik.com


Homosexualité en Jamaïque....

Gloire à la musique de Jah !
Par vendredi 14 septembre 2007 101 lectures

Made in Jamaica. Le film énergique de Jérôme Laperrousaz donne à voir la Jamaïque d’aujourd’hui à travers les textes de grands artistes de l’île qui a vu naître l’illustre Bob Marley. Le réalisateur revient sur la conception et les thèmes abordés dans son œuvre.



DOSSIERS
Cinéma
Comment vous est venue l’idée de faire un tel film ?
En 1977-1978, j’ai rencontré Marley et on avait décidé de faire un film ensemble. Je trouvais que cette musique était intéressante par sa rythmique, comme un battement de cœur, et ses textes sur l’esclavage et sur la vie quotidienne. Un peu plus de 25 ans plus tard, j’ai trouvé important de faire un constat sur cette musique écoutée partout dans le monde. Toutes les générations dansent dessus, c’est une musique fédératrice qui touche quelle que soit notre origine ou notre culture. C’est une musique extrêmement puissante qui symbolise le rayonnement de la Jamaïque, qui a pour beaucoup construit son identité sur sa musique. Elle a subi quatre siècles d’esclavage et n’est indépendante que depuis 1962. Donc il est extrêmement intéressant que la société se reconstruise à travers le reggae, issu des ghettos de Kingston et un peu de la campagne. Au final, aussi bien le reggae de Marley ou la dancehall sont nés dans les ghettos. Ce dont les chanteurs parlent convient à tous les ghettos du monde, que ce soit celui de Seine-Saint-Denis, de New-York ou d’Amérique du Sud. Cette musique a une portée universelle.
Dans le film, on a l’impression que les artistes sont comme des dieux. Notamment quand le chanteur de dancehall Bogle est abattu, on voit les gens complètement effondrés…
Ces artistes ne sont pas des dieux, mais des icônes très respectées, des stars et des leaders d’opinion très importants pour le peuple des ghettos de Jamaïque. La population fait attention à ce qu’ils peuvent dire, car leur musique est un commentaire de la vie quotidienne.
L’esclavage est toujours très présent dans les chansons…
L’esclavage n’est ni une chose à oublier ni à négliger. Le pays n’est indépendant que depuis 1962. Il est passé de l’esclavage à la colonisation et là il est dans une situation post-coloniale. Donc c’est normal qu’il y ait cette envie de raconter ce passé, cela fait partie de la construction identitaire de savoir qui on est et où on va. Les artistes parlent aussi beaucoup de l’esclavage mental, de ce que l’on peut vivre dans un pays du tiers-monde où les choses sont parfois très difficiles.
Dans les chansons du film, on n’en entend pas une seule qui est homophobe, alors que certains artistes ont des textes très violents envers les homosexuels. Pourquoi ?
Je suis contre toute forme de discrimination. Je suis complètement opposé à l’homophobie, que je trouve inacceptable. Les avancées sociales sont plus rapides dans les pays occidentaux avancés. Mais quand on va en Jamaïque, on se rend compte que les choses évoluent. La Jamaïque est un pays assez archaïque où la religion prend une grande place et il est regrettable qu’on applique les préceptes de la bible – qui disent qu’un homme ne doit pas aimer un homme et qu’une femme ne doit pas aimer une femme. Mais au-delà de ça, les choses bougent dans le bon sens. Les textes dont vous parlez date de quatre ou cinq ans. Et les artistes et les associations d’homosexuels (notamment l’organisation britannique OutRage !) ont passé un accord en présence de Scotland Yard (la police londonienne, ndlr) pour qu’il n’y ait plus de textes homophobes chantés. Et je pense que les associations gay ont bien fait de réagir vivement et il faut encourager à faire bouger les choses.
Aviez-vous songé à parler de l’homophobie dans votre film ?
J’ai souhaité traiter l’homosexualité, mais je ne voulais pas le faire de façon superficielle. Or cela prend du temps, il m’aurait fallu 50 ou 60 minutes et je ne pouvais pas me le permettre. Mais encore une fois, les choses bougent et l’homosexualité et les homosexuels sont de plus en plus acceptés. Il y a une espèce de mode de l’homosexualité chez les femmes, qui la vivent comme une émancipation vis-à-vis des hommes. Lady Saw et Tanya Stephens (qui apparaissent dans le film) jouent d’ailleurs un rôle important dans l’émancipation des femmes. Je pense que l’avenir de la Jamaïque passe par les femmes.
Des artistes, dont Lady Saw, parlent de sexe de façon hardcore comme les hommes parce que les textes mielleux n’ont pas la cote…
Cela fait partie de l’émancipation. Je ne suis pas des gens qui considèrent avec mépris ou condescendance ceux qui parlent librement de sexe. Surtout que leurs textes sont une vraie poésie de la rue. Ces artistes mettent les femmes dans une position où elles revendiquent le droit au sexe, au plaisir et donnent leur regard sur les hommes. Certaines de ces chansons sont devenues des hymnes pour les femmes en Jamaïque. Lady Saw a été bannie des radios et des festivals à cause de ce qu’elle chantait mais elle a fini par gagner parce qu’elle était soutenue par les femmes, et aussi par les hommes, parce qu’elle est très bonne dans le dancehall. Aujourd’hui, c’est une porte-parole des femmes qui utilise sa musique comme outil de libération des femmes.
Le film est un véritable clin d’œil au rêve jamaïcain. Comment définiriez-vous ce rêve ?
C’est la volonté de s’en sortir, de quitter le ghetto et de devenir une star. Comme dit Elephant Man, « j’ai prié pour que Dieu fasse de moi une star, et il m’a exaucé ».
Habibou Bangré, afrik.com

mardi 4 septembre 2007

L'homosexualité en Algérie....

Communauté des homosexuels en Algérie

« Nous sommes tous des passagers clandestins »
Si l’homosexualité reste aujourd’hui un tabou important, les homosexuels sont sortis de leur isolement, grâce à Internet, et une communauté discrète émerge dans les grandes villes du pays l Bien que la pratique soit définie comme « acte contre nature » et criminalisée par les articles 333 et 338 du code pénal, les homosexuels, contraints généralement à mener une double vie, tentent d’adapter leur identité à une société qui les marginalise et les tolère tout à la fois.
Nous sommes devenus des experts en mensonges, des schizophrènes à l’image de la société algérienne tout entière. » C’est sur cette phrase, ou presque, que Karim débute le récit de sa vie, ému et volubile dans le décor pastel d’un salon de thé. Trentenaire, aide-soignant à Constantine, marié depuis 4 ans et père d’une petite fille, il a pu nommer, à l’âge de 12 ans, au hasard d’un livre médical sur La psychologie de l’anormal, ce désir naissant et cette étrange sensation d’être unique qui le taraudait depuis longtemps : l’homosexualité. Dès lors, un long et chaotique parcours de culpabilité commence : de fugues en visites chez des psys, de confidences évasives à une mère qui le met sous surveillance à une pratique soudaine et excessive des commandements religieux, d’espoirs en dépressions, Karim tente, plusieurs fois, de mettre fin à sa vie, une vie où il a pourtant connu neuf années d’un amour intense avec un homme qui a fini par épouser… sa sœur. Pressé par ses parents, il se résigne à se marier avec une femme dont il ne partage plus la chambre. « Ce mariage, je l’ai vécu comme un viol. Ma femme, je ne peux pas la rendre heureuse. Je ne peux pas. » Pour exister derrière le masque et trouver une issue identitaire à la négation sociale, il écrit, crée des réseaux, milite clandestinement, notamment à travers la création d’un blog et l’ouverture d’un cybercafé qui serait, comme beaucoup d’autres et en toute discrétion, « un refuge, un repos ». « Internet a été un vrai soulagement pour nous, explique-t-il. ça nous a sortis d’un isolement mortel. » Il a d’ailleurs trouvé son homme du moment, sur un site de rencontres très prisé. Quelques heures plus tard, adossé à la banquette moelleuse d’un bar de nuit enfumé, Redwane, jeune écrivain truculent et raffiné, s’égosille malicieusement sur : « Je suis un homo, comme ils disent », la célèbre chanson de Charles Aznavour. L’univers amical et festif, ce soir, essentiellement hétérosexuel et féminin, où il évolue en toute liberté, c’est la part officieuse de sa vie : « Si mes parents savaient, ils me tueraient carrément. » Exemples de doubles vies déclinables à l’envi. Ce phénomène souterrain mais réel et inscrit dans le champ des pratiques sociales invisibles s’estompe au fur et à mesure que l’on monte dans les sphères de la société. Kamel, la trentaine, élégant, travaille dans une importante société étrangère. Il connaît Paris et son quartier célèbre du Marais, mais l’évoque dans une moue indolente : « Alger est infiniment plus drôle. » Son plaisir à lui, c’est la finition haute couture, l’originalité et l’allure. « Il faut oser. Ces vêtements, c’est comme une armure. Je peux arriver au boulot avec un costume rose, personne n’osera me poser de questions. ». « Et la famille ? » « Les choses sont claires, on ne s’étale pas. » Autant d’éléments qui, de son point de vue, le distinguent des « cas sociaux », comme il les nomme négligemment.

Déni légal, déni social

Si en Algérie comme ailleurs l’homosexualité est plurielle, la réponse est la même pour tous : articles 333 et 338 du code pénal. Lorsque l’outrage public à la pudeur, puni de deux mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 à 2000 DA, consiste « en un acte contre nature avec un individu du même sexe », la peine passe de six mois à trois années de prison et d’une amende de 1000 à 10 000 DA. Et l’article 338 punit tout acte d’homosexualité de 2 mois à 2 ans de prison et de 500 à 2000 DA d’amende. « En criminalisant notre sexualité, on criminalise notre identité toute entière, notre quotidien, notre vie. On nous réduit à un acte sexuel. Du coup, on a du mal à se voir autrement, à s’accepter », souligne Momo, jeune et fragile étudiant en droit à Alger, croisé dans un café. Impossible avec cette loi de créer une association ou d’ouvrir un lieu ouvertement destiné à cette population. En conséquence, par exemple, nombre d’associations de prévention et de lutte contre le VIH n’osent pas s’aventurer, sous peine d’amalgames compromettants, dans une démarche de travail officielle vers la communauté homosexuelle. « J’ai contacté une association féminine pour l’épanouissement de la personne et l’exercice de la citoyenneté. Elles n’ont pas souhaité me répondre », raconte Fatima, jeune étudiante de Tébessa, spontanée, combative et qui aime les femmes. Dans les grandes villes, cependant, divers lieux sont confidentiellement destinés à la population homosexuelle et, de fait, discrétion oblige, la clientèle est mixte, ce qui permet un brassage permanent des identités. Mais, plus grave, cette relégation de l’homosexualité au rang des comportements illégaux se double d’une impossibilité d’accès aux droits les plus évidents : « Il y a quelques années, j’ai subi une tentative de viol par un ancien camarade d’école marié. Comme je me suis défendu, il a paniqué, il a essayé de m’écraser avec sa voiture. Je ne peux pas porter plainte. Tu imagines un flic remplir gentiment son procès-verbal ? Laisse tomber. On a toujours été à la fois la cible des intégristes et les victimes de la police », explique Karim dans un sourire amer. « Cette loi est une épée au-dessus de nos têtes et elle donne raison à tous de nous maltraiter », conclut-il. Pourtant, l’existence des articles 333 et 338 est assez méconnue, même par les premiers concernés. C’est qu’ils sont, dans les faits, peu appliqués. Ils ne font que couronner un climat de peur, de honte ou de malaise qui est, en fait, entretenu par une censure sociale, familiale et religieuse concernant la sexualité en général et les comportements sexuels dits « déviants » en particulier, considérés globalement comme un danger pour l’ordre social et la préservation de la culture musulmane. « Franchement, en soi, l’homosexualité me dégoûte carrément, explique Amin, jeune marié moderne. J’ai pourtant eu un voisin homo d’un certain âge qui était quelqu’un de très bien. Il n’en faisait pas étalage, il rendait tout le temps service, normal. En fait, si on n’accepte pas cette sexualité, c’est qu’on a peur qu’ensuite ça prenne de l’ampleur et qu’il y ait un oubli progressif des valeurs musulmanes qui sont notre force identitaire et culturelle. » Cette peur se traduit par l’existence d’un cadre législatif clair, qui s’appuie sur la charia islamique et n’envisage la sexualité que sous l’angle de la procréation dans le cadre du mariage. « Il n’y a rien de positif dans cet acte contre nature, affirme le conseiller en communication du ministre des Affaires religieuses. Il faut encourager la croissance démographique et donc encourager le mariage entre l’homme et la femme, c’est cela qui est conforme à toutes les lois du monde et aux lois de toutes les religions monothéistes. » Le conseiller du ministre estime ainsi que sur tout le territoire algérien, ils ne sont pas plus de 2000, un chiffre qui, sur une population d’environ 35 millions de personnes, en fait implicitement une minorité négligeable, logiquement marginalisée. De visu, ce chiffre est largement contestable et contesté par de nombreuses associations étrangères qui estiment de façon générale que la population homosexuelle représente au moins 6 à 8% de la population globale de chaque pays du monde. Mais dans ce contexte où l’identité homosexuelle ne peut être ouvertement déclarée, une étude chiffrée fiable n’a jamais pu être effectuée. « Dans un pays où on chasse les amoureux des parcs, quand il y a une visite d’un chef d’Etat, comment veux-tu qu’on tolère ouvertement les ‘’nekoucha’’ ? », s’esclaffe Redwane.

Rejet religieux et maladie morale

« L’Algérie est un pays musulman. La religion accompagne la vie quotidienne. Si tu rajoutes les traditions, le tout mélangé à l’hypocrisie… Ils connaissent notre existence mais ouvrir le débat, c’est inenvisageable pour eux, c’est contre nature, point à la ligne, débrouillez-vous ! », tempête Fatima. Néanmoins, nombreux sont ceux et celles qui souhaitent rester clandestins. « Pour vivre heureux, vivons cachés » est une expression qui revient souvent. « Ils ont peur d’être amalgamés avec les “folles” ou les “transgenres”, qui s’assument d’ailleurs radicalement, et les prostitués, qui le sont souvent devenus après s’être fait jeter de leur famille. Ils pensent que la clandestinité est la seule liberté à laquelle ils peuvent aspirer. Mais la liberté, ce n’est pas ça ! On ne veut pas une gay-pride ou le droit de s’embrasser en pleine rue. Nous sommes aussi des musulmans, même si, du coup, notre orientation peut rendre notre rapport à Dieu très compliqué. On désire juste avoir le droit à la différence et à la dépénalisation de notre identité. ça prendra un temps fou », précise calmement Karim. Cette revendication semble bien outrancière à l’imam Youssef El Qaradhawi, idéologue des Frères musulmans et auteur du livre Le licite et l’Illicite où l’on peut lire que, si les opinions des juristes de l’Islam divergèrent concernant « les punitions de cette abominable pratique », le meurtre des homosexuels « n’est qu’un moyen pour épurer la société islamique de ces êtres nocifs qui ne conduisent qu’à la perte de l’humanité ». Cette lecture fondamentaliste du texte sacré, que tous les musulmans ne partagent certes pas, nous a été confirmée par le mufti Yahia, au ministère des Affaires religieuses (cf. article ci-contre) : « L’homosexualité est une inversion contraire à la nature qu’il faut soigner et, littéralement, dans le texte, punie de mort. Comment, dès lors, ne pas percevoir cette pratique comme une aberration ? » « On en est tous imprégnés, raconte Karim. Pour ma première tentative de suicide, j’ai voulu me jeter du haut d’un ravin avec la voiture de mon père. J’avais 18 ans. Depuis, j’ai appris que l’Islam punit l’homosexuel en le jetant du haut d’une falaise. C’est marrant, non ? » Ce refoulement de l’homosexualité en tant que pratique non conforme à la loi de Dieu aboutit parfois à la théorie d’une homosexualité importée d’Occident, « tare de la race blanche », amalgamée avec la maladie mentale, voire la maladie morale, comme incapacité de résistance à une pulsion ou à la pédophilie. Au mieux, comme on peut le lire sur les nombreux forums de discussion de sites religieux, où le sujet est d’ailleurs régulièrement examiné avec une docte bienveillance, l’homosexualité est une maladie ou une déviation du droit chemin qu’il faut accompagner et guérir, notamment par le « sabar ». « Je ne suis pas malade. Ma sexualité n’est pas un choix ni une malédiction. Je suis comme ça. Point », martèle Momo qui, paradoxalement, dit comprendre la lapidation des homosexuels et souhaite se marier un jour, afin d’être en accord avec sa religion. Pour la majorité d’entre eux, la clandestinité est donc la seule voie : « Je m’assume mais m’afficher, c’est impossible », explique Fatima. « L’homosexualité est essentiellement envisagée sous l’angle masculin. Elle est vécue dans les sociétés arabo-musulmanes comme une dépravation, c’est vrai, mais aussi comme une maladie de la virilité. Alors que chez nous, l’homme doit être un conquérant, un pilier. C’est aussi ça qui dérange. C’est la honte. Du coup, beaucoup d’homos se déguisent en machos avec leurs potes de quartier. C’est de l’hypocrisie : du fait de la séparation hommes/femmes de notre société, nombreux sont les hétéros qui ont eu leur première expérience sexuelle avec un partenaire du même sexe. La frontière est plus ténue qu’ailleurs. L’homosexuel ou la prostitution masculine, en Algérie, c’est aussi la sexualité du pauvre ou de l’hétéro en manque. On se fait souvent draguer par des hétéros mariés, faut pas croire », affirme Abdelkader, discret militant de la cause.
Entre le rêve et l’affirmation de soi
« On rêve de cette vie, quitter le bled pour vivre là où l’identité gay est acceptée et le droit protégé, un vrai paradis gay sur terre ! Mais je suis prête à mener le combat ici même si je sais qu’un jour, ça me tombera sur la tête… », écrit Fatima. La « harba » ou la lutte est un dilemme pour cette jeune femme, qui affirme son homosexualité par petites touches, de ses tenues gothiques customisées au pin’s arc-en-ciel, symbole international des homosexuels, sur le sac de cours. Elle a fait son coming-out (révélation de son homosexualité) à trois de ses amis, qui n’ont pas changé d’attitude envers elle depuis. « Ils m’ont acceptée comme je suis. En Algérie, ceux qui ont une certaine ouverture d’esprit et ceux qui se sont ouverts aux autres cultures nous acceptent mieux. Pour ce pays fermé sur lui-même, c’est rassurant », raconte-t-elle. Effectivement, à Alger, comme dans de nombreuses grandes villes, la visibilité des homosexuels grandit : dans cette capitale où l’anonymat contribue à l’aisance, certaines places bien connues sont devenues des lieux de rencontres diurnes. Il suffira d’un sourire pour créer le lien et entrer rapidement dans le « vif du sujet ». La clandestinité ne permettant pas de longues tergiversations, les propositions sont étonnamment directes. Une communauté embryonnaire émerge donc, à travers Internet, se rencontre dans les cafés ou les salons de thé, fréquente des boîtes de nuit à population mixte connues pour leur « accueil » indifférencié, les restaurants nocturnes à l’atmosphère cossue ou les concerts de certaines icones du raï. La révélation de son homosexualité se fait entre amis, dans le cercle intime, auprès d’une tante moins traditionnaliste ou d’un cousin compréhensif. Si la prudence reste de mise dans son quartier et est souvent vitale au sein du noyau familial, un espace de liberté privée, vital lui aussi, s’ouvre, mêlant homosexuels et hétérosexuels. « Il y a vingt ans, un homo, dans mon quartier, on lui lançait des pierres. Aujourd’hui, on lui parle normal. Je ne sais pas si c’est bien mais c’est comme ça », constate Azzedine, perplexe. « Redwane est comme il est, c’est mon ami, je ne fais pas abstraction de son homosexualité, je n’en fais pas un plat non plus. Ça lui appartient, c’est tout. Quand on aime les gens, on ne fait pas le tri », confie pudiquement Mus’, qui esquive cependant discrètement un geste amical un peu appuyé de son camarade. Mais si l’acceptation et la mixité sociale sont en marche, les difficultés, notamment au sein de la famille, restent énormes. « Mon frère a trouvé une lettre d’amour d’un ex. Il ne m’a plus jamais adressé la parole. Je ne comprenais pas pourquoi, jusqu’à ce qu’il me croise avec un ami pas très loin de mon quartier. En pleine rue, il m’a frappé et m’a menacé de tout révéler à mes parents. C’était intenable, je suis parti. Et j’ai pas mal galéré », raconte pudiquement Momo, les larmes aux yeux. « Je suis algérien, musulman et homo, autant dire un extraterrestre sous antidépresseurs », conclut-il cyniquement. Et pour nombre d’entre eux, leur planète est ailleurs, de l’autre côté des frontières, de l’autre côté de l’exil. Mais s’expatrier n’est pas si simple : « Pour faire une demande d’asile en tant qu’homosexuel en France, il faut apporter des preuves de persécutions personnelles et prouver que l’on court des risques sur l’ensemble du territoire algérien, c’est-à-dire qu’on a déménagé plusieurs fois et qu’on a subi partout des harcèlements », explique Hugues, membre d’une association française qui travaille à la reconnaissance du droit à l’immigration et au séjour des personnes homosexuelles. Les cas qui aboutissent sont rares, mais nombreuses sont les associations européennes qui œuvrent discrètement et parfois illégalement à l’accueil des étrangers homosexuels. « Notre enfermement est multiple, territorial, familial, religieux, intime. Le pire est de réaliser que dans ce pays où je suis né, mon homosexualité est un crime mais l’homophobie, même la plus violente, non. Même les ligues de droits de l’homme se désintéressent de notre cas. J’aimerais partir mais j’ai une fille à élever, elle n’a rien demandé. Et si je dévoile ma sexualité, j’ai peur qu’on l’élève dans la haine de son père. Je ne sais pas quoi faire. Alors, j’essaye de me battre, d’agir, de rassembler. On me dit que je suis fou mais tout ça prend vraiment forme. Ma religion veut des hommes conquérants ? A ma façon, j’en suis un », sourit Karim. Et, l’œil rieur, il cite une phrase de Tahar Ben Jelloun : « La nature crée des différences, la société en fait des inégalités. »
Delphine Gourlay