mardi 19 juin 2007

Foot et gays ?....



Homos footballeurs, la grande omerta
Par Solen CHERRIER
Le Journal du Dimanche

Les joueurs de football se mobilisent régulièrement contre le racisme, pour des oeuvres caritatives. L'homophobie reste, en revanche, un sujet tabou, voire une attitude fréquente dans le milieu, qu'il soit professionnel ou amateur. Malgré les actions d'associations comme le Paris Football Gay, la cause peine à mobiliser, alors que les discriminations sexuelles sont fréquentes.


En 2004, des militants protestaient contre l'homophobie affichée au Parc des Princes. Depuis, le PSG s'est engagé à leurs côtés. Sur le même sujet
"J'ai été viré parce que j'étais homo"Plus qu'un tabou, une omerta. L'homosexualité chez les footballeurs reste un sujet très sensible, au point d'être totalement niée. Pas un seul joueur professionnel encore en activité n'a confessé de préférence sexuelle pour les hommes. Parce qu'il n'y en a pas ? Certains le pensent encore. Il y a deux ans, au cours d'une émission de télévision, David Ginola assurait: "Je n'ai jamais croisé quelqu'un du côté obscur de la force au cours de ma carrière." Il n'est pas le seul à vivre dans cette certitude. Des travaux menés à l'université Lyon-I par le sociologue Philippe Liotard auprès de sportifs le montrent. Les hommes interrogés estiment "impensable" qu'un de leurs coéquipiers soit homosexuel. Pis, si cela s'avérait, ils ne pourraient plus jouer avec lui. Preuve que le sport reste un vrai bastion homophobe. Le football en premier lieu, avec ses paradoxes (des joueurs idoles métrosexuelles) et ses ambiguïtés (l'homosociabilité au sein d'un groupe).

"Cette négation est révélatrice d'un malaise, commente Philippe Liotard. Comme si le sport pouvait échapper aux statistiques démographiques." Il y a entre 5% et 10% de gays dans la société: pourquoi n'y en aurait-il pas dans le milieu du foot ? L'homosexualité est juste tue. Vécue comme une maladie honteuse, une grande souffrance propagée par des rumeurs plus ou moins fondées. Récemment, Andrew Walmsley et Corny Littman, respectivement présidents des clubs de Stonewall (Angleterre) et Sankt Pauli (Allemagne), réputés pour leur engagement en faveur de la cause gay, ont pensé faire bouger les choses en déclarant qu'ils connaissaient des homos dans les clubs de l'élite de leurs pays et dans les sélections nationales. Walmsley ajoutait aussi: "Mais faire son coming-out n'est pas envisageable."

Justin Fashanu a été retrouvé pendu

Dans l'histoire du foot, trois cas sont recensés. Deux ont fini en tragédie. Heinz Bonn, modeste défenseur allemand de Hambourg dans les années 1970, a très mal vécu son homosexualité, non révélée mais de notoriété publique. Après avoir noyé son mal-être dans l'alcool, il a été retrouvé assassiné par un prostitué le 5 décembre 1991 dans son appartement de Hanovre. Plus célèbre, l'international espoir anglais Justin Fashanu a vendu ses confessions au News of the World pour 80 000 livres (118 300 euros) en 1990 alors que, fait unique, il était encore en activité. Rejet du milieu et exil aux Etats-Unis. Le 2 mai 1998, il a été retrouvé pendu après avoir été accusé d'abus sur mineur. Il y a deux ans, l'Uruguayen Wilson Oliver a fait son coming-out dans la revue espagnole Gay Barcelona. Il avait dû arrêter sa carrière car il ne supportait plus la marginalisation et la discrimination. On peut aussi citer l'arbitre international néerlandais John Blankenstein, militant engagé, écarté de la Coupe du monde 1990, selon lui pour avoir été aperçu dans un bar homo.

Forcément, ces exemples n'encouragent pas les candidats à la grande révélation. "Pour faire son coming-out, il faut être très fort. Seul un joueur du calibre de Zidane peut le faire. Et encore, ça ferait des vagues", glisse Pascal Brèthes, président du Paris Foot Gay (PFG). Les conséquences vis-à-vis du public, des médias et même des sponsors - certains recommandent de s'afficher avec des femmes - confinent au suicide professionnel. A l'intérieur d'un groupe, sanctuaire de l'affirmation de la virilité, le rejet peut aussi être violent. En 2001, Jonathan Denis, alors jeune journaliste (il a écrit deux livres depuis), a vécu une "belle histoire compliquée" avec un joueur de Sochaux. Il raconte: "Ce joueur sortait avec une fille, avec qui il s'est marié depuis. Sochaux, c'est une petite ville, et notre relation s'est ébruitée. Professionnellement, ça a été un drame pour lui. Du jour au lendemain, il n'était plus sur la feuille de match et ses coéquipiers le regardaient de travers. Il a été totalement exclu du groupe. Ça l'a déprimé et il a dû changer de club."

L'homophobie comme discrimination la plus cachée

Chronique de l'homophobie ordinaire. Elle débute dès le plus jeune âge au son de la rengaine: "On n'est pas des pédés." Et sévit au moins autant chez les amateurs. Yoann Lemaire joue au FC Chooz (DH), dans les Ardennes. Début 2006, il décide de révéler son homosexualité à ses coéquipiers afin d'apaiser sa conscience et ses nerfs. Elle semble acceptée au début (le club est même devenu partenaire du PFG). Avant qu'il ne vive rapidement un cauchemar: insultes des adversaires, indifférence arbitrale et mise à l'écart muant progressivement en mise à pied. "Je me suis planté. C'est une catastrophe. Jamais je ne conseillerai à un joueur de foot de révéler son homosexualité. Je comprends que les pros ne veuillent pas le faire. C'est le meilleur moyen de briser sa carrière et de faire fuir les sponsors. Je ne suis même pas sûr que ça puisse avoir un effet positif. Parce que si ça se passe mal pour le joueur, ça se retournera contre tous les homos."

Eric Verdier, psychologue psychothérapeute qui travaille sur l'identité masculine, estime ainsi que "l'engagement d'hétéros nettoyés de leur homophobie jusqu'à semer le doute, comme Vikash Dhorasoo, fera davantage avancer les choses. L'homophobie, c'est la peur de l'autre en soi, poursuit-il. C'est donc une discrimination plus complexe et plus insidieuse que le racisme et le sexisme." Donc moins mise en lumière. Les 19 et 20 mai dernier, le réseau Fare (Football against racism in Europe) organisait son congrès annuel à la Fédération française de football. Il y a été reconnu que l'homophobie est la discrimination la plus cachée, celle sur laquelle il y a le moins d'avancées.

"Du côté de la Ligue et de la Fédération, c'est pourtant silence radio", regrette Pascal Brèthes, qui lutte pour "faire condamner les propos homophobes", comme ceux tenus récemment par Didier Deschamps en Italie - "Cette couleur [le rose du maillot de la Juve] ne me plaît pas parce qu'en France c'est la couleur des pédés" - et Louis Nicollin - "Quelle bande de pédés d'avoir raconté ça [que les matches de Montpellier étaient arrangés]". Les deux intéressés se sont excusés. En France, seul le PSG, ouvertement gay friendly, se mobilise. D'autres clubs (Nancy, Sedan, Toulouse) ont été démarchés par le PFG, en vain. L'anecdote que raconte Yoann Lemaire est assez révélatrice de l'attitude du milieu: "Il y a un an, mon club organisait un match caritatif pour un jeune atteint du cancer. J'ai demandé à Aimé Jacquet s'il pouvait écrire une lettre de soutien. Il a accepté volontiers. Je lui ai aussi glissé que c'était un match contre l'homophobie. J'ai senti qu'il tiquait. Malgré les relances, on n'a jamais reçu la lettre."

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