jeudi 28 décembre 2006

Et pourquoi pas lme droit d'asile pour les gays ?

Le droit d'asile pour les Gays menacés dans leurs pays

Requérants d'asile LGBT: Un refuge précaire
SUISSE - Face à une administration qui entretient sa mauvaise foi institutionnelle, les réfugiés LGBT qui débarquent en Suisse continuent de devoir franchir un impossible parcours d’obstacle. Tour d’horizon, à la veille des votations du 24 septembre.
Arnaud Gallay
septembre 2006

Pour en savoir plus
Votations du 24.9: les «contre» (Coalition pour une Suisse humanitaire)
Votations du 24.9: les «pour» (UDC)
www.queeramnesty.ch
26 ans: Kia* a, à peu de choses près, l’âge du régime islamique en Iran, pays où il a grandi dans une famille restée plutôt fidèle à la monarchie. «J’ai toujours été contre le régime islamique. En Iran, il n’y a pas de liberté pour les homosexuels, mais pas non plus pour les hétéros! Tout est sous le coup de la loi islamique: ce que l’on porte, ce que l’on fait, ce que l’on mange…» A Téhéran, Kia partageait un appartement avec son ami. Quitter le pays, il l’a longtemps projeté, mais lorsque s’ébruite le fait qu’il vit une relation homosexuelle, le couple décide de partir – sans avertir personne. «Pour 7 000 euros chacun, un passeur nous a d’abord fait franchir la frontière turque. De là, nous avons été transportés pendant plusieurs jours dans une camionnette. C’était terrible. Ce sont vraiment des moments que j’essaie d’oublier: nous étions traités comme de la merde, rien à manger, rien à boire. Et toujours la peur d’être attrapés par la police.» Au terme de plusieurs semaines, Kia et son ami sont débarqués en Suisse, un pays dont ils ne connaissaient «même pas le nom de la capitale.»
Parmi les 10 000 réfugiés qui se sont annoncés en Suisse en 2005, combien sont les gays, lesbiennes ou trans qui fuient des conditionsde vie insupportables, des menaces et violences dans leur pays? L’autorité en charge des demandes d’asile, l’Office des Migrations (ODM) est incapable de le dire. On sait toutefois que ces dernières années, de tels cas proviennent principalement d’Iran, du Cameroun, d’Algérie, de Roumanie ou de Cuba. Le rôle de l’orientation sexuelle dans ces cas est varié, comme l’explique Liselotte Barzé, de l’ODM: «[les requérants] invoquent le fait d’avoir été contraints de fuir leur pays d’origine en raison de leur homosexualité, parfois en corrélation avec d’autres problèmes, ou, en cours de procédure d’asile, ne plus pouvoir regagner leur pays d’origine pour ce motif.»
Intimidation
En déposant une demande d’asile en Suisse, Kia s’est lancé dans l’inconnu. «En arrivant au centre d’enregistrement, nous n’avions pas la moindre idée de la façon dont les homosexuels sont considérés ici. On nous a d’abord emmenés dans un centre du côté de Saint-Gall. Une très mauvaise expérience: l’atmosphère était tendue, très conflictuelle. L’homme qui m’a auditionné était très agressif. Il cherchait manifestement à m’intimider, mais j’ai réussi à dire tout ce que je voulais. J’ai dit que j’étais avec mon ami, et que nous ne voulions pas être séparés […] C’était la première fois que je parlais d’homosexualité – qui plus est avec un officiel.» Hans Markus Herren de «Queeramnesty», la section LGBT d’Amnesty International, souligne que cette première audition est décisive: «Tout ce que l’on raconte à ce moment-là peut être utilisé par la suite en faveur ou défaveur du requérant. Or, beaucoup de réfugiés n’osent pas y évoquer les questions de sexualité. C’est souvent plus tard dans leur parcours de requérant, quand ils découvrent qu’en Suisse on parle assez librement d’homosexualité, qu’ils le mentionnent. Et là, c’est toujours interprété comme une incohérence et inscrit en leur défaveur.»
«Confiance et empathie»?
On minimise cette difficulté à l’ODM, où Liselotte Barzé assure que «les victimes de persécutions liées au sexe sont en mesure d’exposer leurs motifs d’asile de manière circonstanciée lorsqu’elles sont entendues dans un climat de confiance et d’empathie […] Une attitude attentive et parallèlement résolue est déterminante au moment de l’établissement des faits, en particulier lorsque les motifs d’asile allégués touchent la sphère intime de la personne concernée.» En pratique, les femmes susceptibles d’aborder des questions d’abus sexuels ont la possibilité d’être entendues en présence de femmes uniquement. En revanche, pourdes hommes – homosexuels ou autres – aucune possibilité de ce type. Ainsi Kia s’est-il vu imposer les services d’un traducteur d’origine afghane: «On peut dire qu’il était homophobe, résume Kia. Ses traductions étaient souvent très impolies et méprisantes. Au lieu de dire ‘homosexuel’ ou ‘gay’, il utilisait des termes persans équivalents à ‘pédé’ ou ‘tapette’, par exemple. Je ne savais pas comment réagir à l’époque, j’étais totalement désemparé.» Ayant suivi plusieurs cas similaires, Hans Markus Herren confirme: «Très souvent, les problèmes surviennent à cause du traducteur, face à qui le requérant n’osera pas parler de son homosexualité.»
«Soyez discret»
Kia et son ami ont déjà passé près de 6 mois dans un foyer en Suisse centrale, dans une petite chambre avec huit personnes, lorsque arrive la décision de l’ODM. Elle est négative. «Ils disaient que nous ne pouvions pas apporter de preuves. En quelque sorte, c’est vrai: Il n’y avait pas de caméra qui ait filmé ce que j’ai fait là-bas […] L’ODM m’a écrit que si l’homosexualité est passible de la peine de mort, celle-ci n’est pas observée en pratique. Ce qui revient à dire que les homos n’ont pas vraiment de problèmes. Quand on connaît la situation des homosexuels dans les pays musulmans, et plus encore dans un régime islamique comme l’Iran, c’est totalement illogique. Il faut se rendre compte que les lois islamiques vont jusqu’à statuer sur la taille des pierres qui servent à la lapidation!»
A Queeramnesty, Hans Markus Herren a eu connaissance du cas d’un couple de femmes azerbaïdjanaises: «Elles se sont vu répondre en première instance qu’il n’était ‘pas impossible’ de vivre une homosexualité cachée en Azerbaïdjan… On entend souvent la même chose pour les pays du Maghreb: ‘Soyez discrets, et rien ne va vous arriver’. C’est un argument très pernicieux, qui sous-entend que les gens n’ont pas le droit de vivre comme ils veulent.»
Marie-Claire Kunz, conseillère juridique et sociale au Centre Social Protestant de Genève, n’est pas étonnée par ce type de raisonnement: «La logique des autorités repose souvent sur des principes aussi flous que ‘l’expérience générale de la vie’, qui voudrait par exemple que des gens qui se savent menacés par les autorités à cause de leurs activités politiques cessent ces activités pour se prémunir contre des persécutions futures, plutôt que de venir en Suisse.» Elle confirme l’extrême difficulté de justifier une menace avérée: «Lorsqu’elles examinent si la crainte de persécutions est fondée, les autorités ont une lecture très restrictive du contexte dans lequel cette crainte s’exprime. Arriver à contrebalancer cette interprétation dépend largement du rôle que peuvent jouer les défenseurs des demandeurs, dans le cadre d’un recours. Or en Suisse, l’Etat ne garantit pas une telle assistance juridique aux requérants d’asile.»
Une situation bloquée
Sa demande d’asile rejetée, comme beaucoup des réfugiés gay en Suisse, Kia a obtenu l’an dernier une «admission provisoire», par lequel les autorités reconnaissent qu’une expulsion vers l’Iran mettrait sa vie en danger. Lucide, il explique qu’il doit principalement cette décision à sa participation – en Suisse – à des forums consacrés aux droits de l’homme et notamment à la situation des minorités sexuelles en Iran. Son permis F renouvelable tous les 12 mois maintient Kia dans une situation précaire. S’il maîtrise déjà l’allemand, il reste toutefois bloqué professionnellement. «Je ne peux pas poursuivre une formation qui me permettrait de faire reconnaître mes diplômes iraniens, explique-t-il. Il me faudrait un permis B.» Quant à la relation avec son ami, elle n’a pas résisté aux mois d’angoisse et de promiscuité dans les foyers de requérants: «Sans doute qu’en ayant passé tout ce temps ensemble, sans vraiment avoir quelque chose à faire, on s’est beaucoup disputés… Mais il reste un ami très proche. Aujourd’hui je n’ai pas de problème pour me faire des amis ou en société. Pour une relation c’est autre chose, c’est plus difficile de projeter quoi que ce soit. Il y a un problème de tempérament, les gens sont froids!» ajoute-t-il avec un sourire désabusé.

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