jeudi 28 décembre 2006

Le tourisme gay à la Réunion

LA Charte Gay Friendly établie par le Comité du Tourisme de La Réunion ne date pas de cette année. C’est en 2004 que le projet se concrétise avec au début une vingtaine d’adhérents, professionnels du tourisme. Depuis, le nombre d’adhérents a plus que doublé. En août 2006, 45 professionnels se sont rapprochés de la Charte Gay Friendly : agences de voyages réceptives, sites Internet, location de voitures, bars, hôtels, chambres d’hôtes de charme, restaurants, location de meublés, night-club, associations, etc.
Une destination prisée par le tourisme gay
Pour les reconnaître, un logo (sorte d’arc-en-ciel) est présent à l’entrée des établissements adhérents ou sur les sites Internet. Cette année, la crise du chikungunya a certes affecté tout le secteur touristique, mais les adhérents de la Charte ont tout de même ressenti « les effets positifs des actions menées par le CTR auprès de cette cible ». « C’est effectivement une des rares cibles qui a augmenté sa fréquentation pour visiter La Réunion, et ce malgré le chikungunya. On continue de voyager comme si de rien n’était et de bénéficier au maximum des promotions », explique la Présidente du CTR. À noter, une augmentation des réservations et des demandes d’informations.L’adhésion à la Charte est la garantie par un accueil de qualité et respectueux de cette clientèle spécifique. Il ne s’agit pas de proposer via la charte un tourisme communautaire à une clientèle en recherche de destinations festives (comme Ibiza, Sitgès, Mykonos).
Une clientèle qui veut être accueillie « comme Monsieur tout le monde »
Le Comité du Tourisme a voulu s’adresser à la majorité des gays, c’est-à-dire 75% d’entre eux qui désirent voyager « comme Monsieur tout le monde ». « Cette cible, précise Jocelyne Lauret, attend simplement que l’offre soit gay-friendly, ce qui signifie que les prestataires ne portent pas de jugement sur leur vie privée et qu’ils soient attentifs à leurs demandes spécifiques. C’est une clientèle qui a besoin d’être rassurée, qui voyage surtout par les réseaux, car elle est encore victime dans la société ». Loin de proposer des espaces exclusivement réservés aux gays, la Charte regroupe tous les professionnels qui s’engagent à être un espace tout public où cette clientèle peut se sentir à l’aise, garantissant la non-discrimination, l’absence de jugement, la discrétion, le respect de la vie privée et la sécurité. Ces professionnels s’engagent aussi à informer sur les lieux de sorties gay.
La Réunion, une destination de « voyage de noces »
Et la Charte d’accueil du CTR a des effets positifs sur la fréquentation touristique en 2006 pour les adhérents. L’étude menée par le CTR auprès des établissements hôteliers (les petites structures, puisque les grands établissements ne tiennent pas de statistiques sur le type de clientèle) et les agences réceptives montrent une augmentation des réservations et des demandes d’information. Les guest house et chambres d’hôtes de charme ont enregistré en moyenne une augmentation des réservations de 4 à 5 nuitées, voire des longs séjours (15 jours), des réservations faîtes via le tour opérateur Attitude Travels (qui réalise des circuits exclusivement pour les homosexuels) ou sur Internet par une clientèle française, allemande et suisse, plutôt aisée. Les agences ont remarqué une augmentation de la fréquentation de 3 à 7% pour une durée moyenne de 7 à 10 jours, et de 5 à 10% des demandes de renseignements. A noter que La Réunion est ponctuellement citée par les Allemands comme destination de « voyages de noces » pour les mariages gay. La Charte représente à cet effet un support marketing sur les marchés étrangers. « La Belgique, la Hollande, l’Espagne et d’autres pays ont légalisé le mariage gay, ce qui représente une cible de clientèle idéale pour La Réunion », souligne la présidente du CTR.
L’étude menée par le CTR s’est aussi intéressée aux réactions des touristes. Le résultat est clair : ils sont « absolument satisfaits et ravis par leur séjour et particulièrement par l’accueil des Réunionnais et des structures Gay friendly ». Quelques regrets toutefois que ne manque pas de souligner Jocelyne Lauret : « Les touristes regrettent un peu le manque de lieux de sorties adaptés et la difficulté de pratiquer le naturisme, suite aux problèmes que certains ont pu vivre sur la plage de Trois-Bassins ». Des incidents que le CTR juge en décalage avec l’image que veut véhiculer la Charte et qui pénalise les efforts des professionnels du tourisme pour accueillir la clientèle homosexuelle. Pour les professionnels, ces réactions sont encore la conséquence d’une mauvaise connaissance de l’homosexualité. Pour y remédier, le CTR a signé une convention avec l’Association Gay union, dont la Présidente est Patrice Leroy, pour organiser des réunions d’information l’année prochaine afin de préparer à l’accueil Gay friendly et ainsi lutter contre l’homophobie. Les nouveaux adhérents seront également soumis au contrôle d’une Commission chargée d’évaluer les prestations et les engagements. Car si La Réunion est une terre multiculturelle, avec une certaine ouverture d’esprit, elle n’est pas exempte de préjugés.
Le tourisme gay : un préalable au tourisme international ?
L’objectif de la Charte Gay friendly est de faire de La Réunion une destination de référence pour la clientèle homosexuelle à moyen terme, c’est-à-dire d’ici 5 ans, et cibler en priorité les pays européens (dont l’Allemagne qui a la population homosexuelle la plus influente d’Europe), mais aussi plus proche de nous, l’Afrique du Sud et l’Australie. « Le tourisme gay était jusqu’à présent essentiellement urbain. Il n’y avait pas d’offre de destination de tourisme d’aventure, sportif et de découverte. Nous envisageons dès 2007 de mettre en place un circuit Paris/Réunion/Afrique du Sud avec les tours opérateurs, dont Attitude Travels pour proposer une offre diversifiée. Ainsi, les touristes pourront passer une semaine à La Réunion puis se détendre à Cape Town pour s’amuser », souligne le CTR. Mais au lieu d’être une simple niche, la clientèle homosexuelle ne pourrait-elle pas devenir un précurseur en matière de développement touristique ? Non pas en se spécialisant dans l’accueil exclusif des gays et lesbiennes, mais en utilisant ce succès comme une garantie de qualité auprès de tous les touristes potentiels ? « La clientèle gay est une cible parmi d’autres que nous envisageons d’accueillir : les amoureux de la nature, les seniors... Mais il est vrai que cette clientèle spécifique peut contribuer à développer le tourisme », souligne la présidente du CTR. Certains professionnels en sont même convaincus. Pour eux, cette clientèle a une capacité d’entraînement vers d’autres cibles. Les homosexuels sont souvent des précurseurs de tendance dans la mode, le design. Si la destination Réunion devient une destination à la mode, tout le secteur touristique pourrait bien bénéficier des retombées.
Edith Poulbassia
Une campagne de promotion auprès des agences et de la presse magazine
L’année 2006 a commencé par une prise de contact avec des agences de voyages des tours opérateurs, et la presse gay à Johannesburg et à Cape Town, ce qui a donné lieu à la mise en place d’un partenariat de promotion, de communication et de vente de La Réunion dans les agences Pink Travel et Arokan Travels. En juillet, le CTR et l’Association Gay union se sont mis d’accord pour organiser des séances d’information sur l’homophobie et accueillir les visiteurs. Le mois d’août a été l’occasion pour le CTR de s’inscrire à l’IGLTA (International gay lesbian tourism association), réseau international de professionnels du tourisme entièrement à destination du public homosexuel. Ce qui permet au CTR de bénéficier d’un réseau puissant pour développer son activité et mettre en place des partenariats.
La Réunion est désormais citée en exemple dans la plupart des articles et émissions consacrées au tourisme gay friendly (Tour Hebdo, Pink TV, Illico, Têtu, Gay Pages, etc...). Plusieurs villes (Anjou, Paris, Rouen, Montpellier, Lille) ont pris contact avec le CTR, considéré comme précurseur dans le domaine du tourisme gay friendly, pour s’inspirer de la Charte. Le Comité du tourisme de Gers en a d’ailleurs mis une en place, identique à celle de La Réunion, depuis octobre 2005. Enfin, des tours opérateurs consacrent des pages dans leur catalogue à La Réunion (ManTours en Allemagne), et d’autres tours opérateurs américains, sud-africains et franco-libanais veulent intégrer La Réunion à leur programme l’année prochaine.
Le trio Paris-Réunion-Cape Town : un atout pour l’île terre de tournage
C’est le projet du tour opérateur Attitude Travels. Combiner ces 3 destinations complémentaires, avec au final un bénéfice considérable pour La Réunion. Cape Town est une destination urbaine et balnéaire, lieu de villégiature des Sud-africains et destination de touristes du monde entier. « La province de Cape Town attire le monde de la publicité et de la mode internationale. Cette région est le premier studio photo et audiovisuel à ciel ouvert au monde. Ce secteur d’activité prospère réunit une intelligentsia gay internationale particulièrement active dans cette profession. Ils sont d’ailleurs très intéressés par La Réunion pour sa proximité et la diversité de ses paysages, complémentaires de ceux du Cap. Cette niche est dans les projets du Conseil régional qui cherche à promouvoir La Réunion comme terre de tournage. Cape Town est un lieu privilégié pour capter une clientèle internationale ».
Tourisme et chikungunya
Les PME demandent le maintien des aides de l’Etat
Regroupée au sein de l’association DEFIT Réunion depuis cette année, une centaine de professionnels du tourisme, tous secteurs confondus (hébergement, location, véhicules, commerces, restauration, activités de loisirs), a tenu à faire un bilan de l’année 2006 marquée par le chikungunya. Ces travailleurs indépendants ont vu leur activité menacée par la crise, près de 2.000 entreprises dont 80% ont moins de 2 salariés. Si elles ont pu continuer leur activité jusqu’à maintenant pour la plupart, c’est grâce aux aides financières que l’Etat leur a attribuées. Mais le gouvernement n’a pas encore informé les professionnels du tourisme sur les suites à donner à ces aides l’année prochaine.
Pour DEFIT Réunion, les PME sont loin d’être sorties de la crise économique et ce malgré la compagne de communication du CTR qui, pour l’instant, vient d’être lancée. « En octobre et en novembre, nous nous attendions à une reprise de l’activité, mais il n’y a rien d’exceptionnel, juste un léger frémissement », explique l’association. Trois raisons rendent compte de cette situation : la fin de l’année est traditionnellement une période de fréquentation touristique, beaucoup de touristes qui avaient repoussé leur voyage à cause du chikungunya se sont retrouvés avec une date butoir pour l’utilisation de leurs billets d’avion, de sorte que certains en ont finalement profité, et puis la clientèle locale qui profite le week-end des structures. Selon une étude réalisée par DEFIT Réunion auprès de ses adhérents, l’association constate que la perte de chiffre d’affaires est en moyenne quasiment constante sur l’année. Le 4ème trimestre est marqué par 36 à 40% de perte de chiffre d’affaires. « A cette même période de l’année, nous avons déjà fait le plein de réservation à 80% pour les mois de janvier et février et nous commençons pour le mois de mars. Actuellement, nous ne sommes qu’à 17% de réservations pour février et 20% pour mars », précise DEFIT Réunion.
Pour l’année prochaine, DEFIT Réunion espère être associé aux décisions de modernisation du secteur touristique, notamment pour le DOCUP 2007-2013. L’association veut ainsi mener une réflexion de fond sur l’activité touristique à La Réunion qui concernerait d’autres domaines comme l’environnement, l’aménagement. Pourquoi pas travailler sur la mise en place d’un tourisme de proximité, dans chaque ville, pour que « même si un touriste revient 10 fois dans l’île, il aura encore envie d’y revenir ». DEFIT Réunion compte entre autres sur les Assises du tourisme qui étaient prévues en août et qui, finalement, devraient se tenir en février prochain, pour exposer ses propositions.
E.P.

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