jeudi 23 août 2007





Rétrospective sur le PACS



La France était si fière de son modèle, et si tranquille. Chacun vivait sa sexualité librement, du moins le croyait-on. Il y avait, d'un côté, les gens mariés, entendons un homme et une femme. De l'autre, des couples en union libre, hétérosexuels ou homosexuels. Les premiers finissaient parfois par se marier, pour payer moins d'impôts par exemple. Les seconds ne pouvaient célébrer d'union. Ils avaient la réputation d'être les plus libres, les plus jouisseurs. On respectait leur choix d'aimer quelqu'un du même sexe, l'homosexualité était même sortie du code pénal en 1982.

Un jour, c'était en l'an 1998, une formidable éruption ébranla l'Hexagone. L'apparition d'un mot nouveau dans les conversations déclencha des querelles dans toutes les chapelles : le pacs, pacte civil de solidarité. Un contrat qui consacrait la reconnaissance des couples "quel que soit leur sexe" allait être débattu au Parlement. Les socialistes venaient d'arriver au pouvoir.
Quelques parlementaires avaient arraché cette promesse à leur chef de file, Lionel Jospin, après des années de militantisme et quelques projets restés dans un tiroir, tel le contrat d'union sociale (CUS). Le pacs répondait aussi à une urgence. Depuis les années 1980, le développement du sida avait brisé nombre de couples, surtout homosexuels. Après des années de vie commune, le compagnon survivant pouvait être délogé de l'appartement par les parents du défunt. Surtout lorsque ceux-ci avaient mal digéré l'homosexualité de leur enfant. En mettant fin à ces pratiques, le pacs brisait le tabou de l'homophobie ambiante.


Pas fou, le premier ministre avait fixé les règles du jeu. Le pacs ne doit pas être assimilé au mariage. Pas de passage devant le maire, pas d'adoption. On ne touche pas à la famille, compris ? On vote le texte, et on referme la fenêtre parlementaire. Pas dupes, répliquèrent nombre d'intellectuels et d'experts. Le pacs va forcément ouvrir la porte, à terme, au mariage gay et à l'homoparentalité. La droite applaudit, qui vota contre le texte, à l'exception notable de la députée (RPR) Roselyne Bachelot. Ringards, homophobes !, tonnait la gauche "moderne".


Le débat s'est donc ouvert sur un malentendu. On s'écharpa autant sur les hypothétiques conséquences du pacs que sur le projet lui-même. La France était mal préparée à cette discussion. Fidèle à sa tradition universaliste, elle n'avait guère coutume de légiférer sur les minorités, sous peine, craignait-elle, d'embrasser le communautarisme américain.


Des psychanalystes n'eurent pas de peine à faire entendre leur voix : celle de la différence des sexes, principe anthropologique qui fonde l'institution du couple et de la filiation. "Il n'est pas discriminatoire de dire que la relation homosexuelle, qui n'est pas un couple, ne peut pas représenter cette triple symbolique qui débouche, elle, sur la relation père, mère et enfant", défendit le prêtre et psychanalyste Tony Anatrella.


Quelques rares voix de psys dénoncèrent cet "ordre symbolique, estuaire théorique où confluent Lévi-Strauss, Lacan et le droit positif de la famille", décrypta Michel Tort. "Il est impossible de proposer du couple, de la famille ou de la filiation quelque définition anhistorique : dans le temps et dans l'espace, les sociétés remodèlent les institutions qui les définissent", approuvèrent, en écho, les juristes Daniel Borrillo et Marcela Iacub, ainsi que le sociologue Eric Fassin. Au-delà du pacs, les trois auteurs plaidèrent pour l'égalité des droits entre tous les couples, afin de ne pas "s'arrêter à mi-chemin".


Une autre gauche défendait une logique opposée. "Faut-il faire comme s'il allait de soi qu'un choix de vie sexuelle doive faire l'objet d'une reconnaissance institutionnelle ?", s'interrogèrent, dans une tribune, l'anthropologue Françoise Héritier, l'historien Paul Veyne, le philosophe Heinz Wismann, etc. Plutôt que le pacs, pourquoi ne pas étendre le concubinage aux homosexuels ?, proposa le sénateur socialiste et ancien garde des sceaux, Robert Badinter, approuvé par une partie de la droite. Le gouvernement lui donna satisfaction pour colmater la brèche. Tout en maintenant le pacs, évidemment.


Des philosophes relayés par la droite conservatrice déplorèrent l'esprit du contrat, révocable sans préavis. "Dans le cadre du mariage, les avantages financiers et fiscaux ne visent pas à conforter les comportements d'une morale traditionnelle, mais à rendre matériellement réalisable l'engagement sur le long terme (...). Vouloir étendre ces avantages aux couples pacsés, donc libérés d'engagement sur le long terme, revient à signifier que l'engagement vis-à-vis des enfants et du conjoint n'a pas plus de sens que le non-engagement", expliquait Chantal Delsol, professeur de philosophie. "Peut-on enfin reconnaître que le pacs ouvre une solution de plus et non une solution contre le mariage ?", répondait la députée socialiste Catherine Tasca, alors présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale. On taira avec indulgence les noms des avocats qui affirmèrent, dans ces colonnes, que compte tenu de certaines modalités juridiques (l'indivision, par exemple), "la loi est inapplicable et restera lettre morte".


Depuis son entrée en vigueur, le 15 novembre 1999, plus de 260 000 pacs ont été signés (chiffres de janvier 2007). La droite a remisé ses positions hostiles. La controverse semble presque rétro. Et le pacs bien timide au regard des réformes engagées chez certains de nos voisins européens (mariage homosexuel au Danemark, en Espagne, etc.).


Mais le pacs reste actuel au sens où les débats qu'il a ouverts n'ont plus quitté le paysage politique. Aujourd'hui, l'UMP fait grincer les dents avec son projet de "contrat d'union civile" qui conférerait les mêmes droits que le mariage aux homosexuels, sauf la filiation. Huit ans après l'éruption, le volcan fume encore.

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