samedi 24 février 2007

Vieillir et voir la vie en rose !




Vieillir et voir la vie en rosePar : Denis-Daniel Boullé [20-02-2007]


Vieillir et voir la vie en rose


La vieillesse serait-elle un tabou dans nos communautés ? Et pourtant, à l'image de nos sociétés qui ne parlent que de jeunesse, de beauté et de santé, les gais vieillissent et ne souhaitent pas forcément redevenir invisibles, absents, ou retourner dans le placard. Peu d'études à ce jour ont tracé le portrait de nos aînés. Pas d'enquêtes fouillées pour savoir quelles sont leurs aspirations et leurs inquiétudes face au défi de l'âge avançant. Et cela ne se limite pas seulement au fait de ne plus «pogner» dans les bars, ou encore de multiplier les artifices pour cacher les marques du temps. Comme le soulignait un de nos répondants, «notre vieillesse sera à l'image de ce que nous avons été», entendre que notre caractère, nos expériences heureuses et malheureuses, auront eu une incidence sur la façon dont nous aborderons la vieillesse.

En cela, nous ne sommes pas si différents des hétéros. Sauf que nous devons composer, tout comme eux, avec une perception générale du vieillissement dans nos sociétés qui tend à nous effacer : on peut prendre pour exemple le combat de Janette Bertrand pour que les aîné(e)s soient plus présents dans les médias et surtout à la télévision, auquel s'ajoute pour les gais la peur de se retrouver seuls et confrontés à des institutions qui ne tiendraient pas compte de leur chemin de vie. Après avoir lutté pendant des années pour occuper l'espace public, sommes-nous condamnés à redevenir invisibles?

Une inquiétude partagée par la Fondation Émergence et son président, Laurent McCutcheon, qui en novembre 2005 organisait une première rencontre intitulée Les rendez-vous du futur, dont le thème était une réflexion sur la condition homosexuelle et le vieillissement. Beaucoup de questions et de thématiques à explorer ici. «Nous arrivons avec une nouvelle génération de gais âgés qui ont passé la plus grande partie de leur vie en dehors du placard et qui ne sont pas prêts à y retourner en raison de leur âge. Ils se posent donc des questions sur leur fin de vie et se demandent si les services seront adaptés à leur réalité, rappelle Laurent McCutcheon. Si l'on regarde du côté du Ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition féminine, par le biais du Conseil des aînés et du Secrétariat des Aînés ou encore du côté de l'Alliance des associations de retraités et d'aînés du Québec, nous sommes complètement absents, invisibles.»

Encore faut-il connaître les spécificités qui distinguent le vieillissement gai du vieillissement hétéro. Une première recherche dirigée par Shari Brotman et Bill Ryan de l'École de service social de l'université McGill à brosser à gros traits les préoccupations d'aînés gais à travers le Canada. Dans ce paysage, les intervenants sociaux ont été mis à contribution et, même si l'étude mériterait d'être affinée, le constat est simple : l'homosexualité n'existe plus dès qu'on atteint le 3e âge. Les médecins, ni les intervenants auprès des personnes à domiciles ou dans des institutions, ni le personnel en général qui œuvre auprès des personnes âgées ne considèrent pas l'homosexualité comme une de leurs préoccupations. À la limite, ils ne savent même pas qu'ils ont affaire à une lesbienne ou à un gai. Mais, comme le souligne Bill Ryan, «nous avons choisi pour les entrevues des gais et des lesbiennes de plus de 65 ans, rencontré des hommes et des femmes dont la grande majorité n'étaient généralement jamais sortis du placard. Certains n'utilisaient pas les mots «gai» ou «homosexuel». Ils préféraient utiliser des expressions comme : «quand on est comme cela». Ils n'avaient pas vécu la libération des dernières décennies, donc, naturellement, ils avaient tendance à effacer cette partie d'eux-mêmes quand ils demandaient ou recevaient des services.» On peut comprendre alors que la question homosexuelle ne se soit jamais posée pour ceux et celles qui travaillent auprès des aînés, puisque les gais eux-mêmes se rendent invisibles.

«Quand, à partir de cette recherche, nous faisons des séances d'information et de formation sur ces réalités auprès des professionnels, c'est généralement une surprise. Il y parfois un déni, comme si l'homosexualité n'existait plus une fois qu'on avait dépassé 70 ans. Les intervenants découvrent alors la vulnérabilité plus grande que peuvent vivre des gais et des lesbiennes âgés.»

Ne pas oser dire que l'on est gai, se retrouver seul parmi d'autres personnes âgées hétéros avec qui on ne peut partager les mêmes expériences et le même vécu, assumer devant les autres l’absence d’une famille, ou encore que la visite ne soit constituée que d'amis et d'amies : autant de petites contraintes qui peuvent au quotidien affecter la qualité de vie des aînés gais.

«Je ne pense pas qu'il y ait une seule solution pour tout monde», constate Laurent McCutcheon. «Il faut tenir compte du parcours de vie de chacun : des gais ont été mariés et ont eu des enfants; la situation matérielle et financière a son incidence sur la façon d'organiser sa retraite ; le degré d'assumation sera aussi un facteur important quant aux choix futurs de ce qu'on est prêt à accepter ou pas.» De plus, il faut aussi tenir compte de l'évolution de la société, qui, selon le président de la Fondation Émergence, est beaucoup plus ouverte. Il faut donc adapter la réflexion aux gais qui auront vécu leur homosexualité sur des modes différents mais aussi au contexte social plus accueillant à l'égard de ces réalités.

«De plus en plus, le réseau des services sociaux et des services de santé veut s'adapter», constate Bill Ryan lorsqu'il rencontre les intervenants. «Curieusement, c'est en région où l'on semble le plus ouvert à cette problématique, alors qu'à Montréal, il semble que l'on soit moins intéressé.» Mais le constat est tout de même optimiste. On serait prêt aujourd'hui à lever le tabou sur le vieillir gai et à apporter des pistes de solutions. Que ce soit pour Laurent McCutcheon ou pour Bill Ryan, le momentum est bon. «Nous devons aujourd'hui porter le même intérêt aux aînés gais que nous l'avons fait, il y a quelques années, avec les jeunes gais. Ce sont les deux extrémités d'un même continuum qui méritent toute notre attention», conclut Bill Ryan. «C'est la génération des baby-boomers qui fait face aujourd'hui au vieillissement, et donc il y a une grande proportion de gais et de lesbiennes qui ne sont pas prêts à renoncer à toutes les avancées qu'ils et elles ont vécu individuellement et collectivement», de rappeler Laurent McCutcheon.

Entre les plus vieux qui vivent leur vieillesse en faisant le deuil de leur orientation sexuelle et les générations suivantes peu enclines à taire cette partie d'eux-mêmes, il y a un monde, une transition à faire.

Et c'est peut-être auprès de ceux qui ne sont pas loin de l'âge de la retraite que l'on peut mieux cerner les enjeux, les inquiétudes mais aussi les espoirs du vieillissement gai. Gérald Julien est responsable à Séro Zéro d'un atelier qui s'adresse aux hommes de 45 ans et plus. Mon nouvel âge, le nom de cet atelier, est un groupe de discussions de 8 à 9 personnes pour des sessions hebdomadaires de six semaines. «Les raisons qui poussent des hommes à venir à cet atelier sont très variées. Certains souffrent de solitude sociale parce qu'ils ne se reconnaissent plus dans le Village, d'autres sont des gais qui viennent juste de sortir du placard ou sont de nouveaux divorcés, et tous les sujets sont abordés, aussi bien la vie sociale que la vie sexuelle», explique Gérald Julien. Les inquiétudes concernant le vieillissement tournent autour de l'isolement. Qui va prendre soin de moi ? Est-ce que je vais vieillir tout seul ? Est-ce que, lorsque j'aurai besoin de services, je trouverai des personnes respectueuses de ce que je suis ? L'approche du vieillissement semble marquée du sceau de la solitude à venir. «D'autant que, pour beaucoup d'entre eux, la communauté gaie ne semble pas inclusive et participerait sans le vouloir à l’exclusion des anciens et au jeunisme», ajoute Gérald Julien. «Ils regrettent le fossé générationnel, même s'ils sont conscients que la compagnie de plus jeunes a aussi des limites. Ils ne partagent pas les mêmes intérêts, n'ont pas les mêmes goûts, ce qui contribue à ce sentiment de rejet ou, en tout cas, à cette impression de ne plus se reconnaître dans la communauté ou le Village.»

Certaines peurs de vieillir ne seraient pas essentiellement liées à l'accueil que nous réserveraient les hétéros mais aussi à la séparation d'avec ceux qui ont constitué notre entourage pendant des années. «C'est un des défi», reconnaît Laurent McCutcheon. «Est-ce qu'il y a la même solidarité dans la communauté pour nos aînés qu'il y en a pour les plus jeunes ? Je ne le pense pas. Nous devons développer un réseau d'entraide et de solidarité, nous doter d'organismes dont c'est la vocation et qui permettraient que les liens dans la communauté ne soient pas définitivement rompus.» Même son de cloche du côté de Bill Ryan. «À ma connaissance, beaucoup de gais âgés souhaiteraient d'autres occasions de rencontres que celles des bars qui misent trop d'ailleurs sur les jeunes, par leur choix musicaux. À Vancouver, il y a une expérience très intéressante au Centre communautaire qui permet à plusieurs aînés de faire du bénévolat et de croiser de ce fait d'autres gais plus jeunes, puisque la vocation du centre est avant tout la santé gaie. Ce type d'initiatives peut aider à briser l'isolement et à conserver des relations avec sa propre communauté.»

Est-ce la raison pour laquelle, comme le fait remarquer Gérald Julien, certains gais sont intéressés par le développement de maisons pour gais retraités où, d'une part, ils seront sûrs de ne pas être victimes d'homophobie et, d'autre part, d'être avec leurs semblables pour pouvoir partager leur vie, leurs expériences et garder ainsi un pied dans la communauté?

À moins que ces établissements réservés aux gais ne soient que la simple illustration du fait que les services publics et privés offrant des services aux aînés aient tout simplement oublié les gais. Un avis que partagent Laurent McCutcheon et Bill Ryan. « Si l'on recherche des services particuliers, c'est que le réseau public n'est pas adapté, ou encore qu'il ne montre pas qu'il est exempt de préjugés», soutient Laurent McCutcheon. Plus important pour Bill Ryan, le fait que ces maisons de retraite peuvent renforcer le sentiment de ghettoïsation. L'état des lieux n'est pas catastrophique mais préoccupant. Si l'accent est mis sur une meilleure adaptation du réseau public de santé et de services sociaux devant cette nouvelle réalité, il faut aussi que la communauté soit partie prenante des nouveaux défis et ne laissent pas tomber les anciens, pour que chacun puisse y trouver son compte, à l'intérieur comme à l'extérieur de la communauté. Des associations commencent à voir le jour, des chercheurs se penchent sur le phénomène, les maisons pour hommes seulement se bâtissent, le virage est donc en train de se prendre, d'autant que les premiers concernés n'ont pas l'intention de vieillir en se taisant et en se cachant.

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