lundi 30 juillet 2007

Excellent article sur la Tolérance au Canada




Être gai ou lesbienne en milieu collégial et à l'université : zones d'ombre et de lumière

par Jean-François Roberge



Ils sont jeunes, gais, lesbiennes et bisexuels affirmés, et n’ont qu’un but en tête : construire un futur à la hauteur de leurs aspirations. Des jeunes qui croient dur comme fer que leur différence est un atout dans la lutte qu’ils mènent contre les préjugés. Entre deux examens et autant de réunions, ils prennent le temps de se raconter et livrent leurs opinions sur le quotidien des gais et des lesbiennes qui, comme eux, sont toujours sur les bancs d’école. Autant d’expériences uniques, mais ô combien complémentaires, qui tracent un portrait éclairant de leur condition actuelle.

Amélie Gagnon, 28 ans, est présidente de L’Alternative, le regroupement des étudiants d'orientation homosexuelle, bisexuelle et de leurs ami(e)s de l'Université de Montréal. En plus d’être active au sein de son association étudiante, celle du département de démographie, elle contribue au Regroupement des étudiant(e)s démocrates et à l’Action humanitaire et communautaire de son établissement. Citoyenne engagée, elle se considère comme une personne épanouie : « Mon identité a plusieurs facettes : tantôt étudiante, tantôt travailleuse, parfois homo, parfois hétéro. C’est fluide! » Elle pourfend les étiquettes et soutient qu’à la base, ce sont les relations qui sont homosexuelles et non pas les personnes. L’idée est de ne pas catégoriser une personne qu’en fonction de son homosexualité. « Si quelqu’un veut s’identifier en fonction de cela, soit, c’est sa revendication », précise-t-elle. Au courant de ses convictions, c’est un ami qui l’a poussée à assister à sa première réunion de L’Alternative.

Celle qui semble avoir été prédestinée à cette vie revendicatrice, renchérit : « Je suis quelqu’un qui refuse que les uns soient traités différemment des autres en fonction de leur orientation sexuelle. » Interrogée sur ce que vivent les gais et les lesbiennes de son université, elle tente une réponse : « C’est difficile pour moi de commenter cette situation : L’Alternative n’existe que depuis deux ans. Je peux néanmoins dire que ces personnes cherchent à se rassembler, à se connaître, à créer des réseaux de soutien, mais aussi à informer la communauté universitaire de leurs réalités et de la diversité sexuelle. »

«Le pire fléau de notre époque est l’ignorance!»

Elle constate que l’homophobie préoccupe les étudiants qu’elle représente, prenant soin de préciser qu’elle varie en fonction des programmes d’études. Selon Amélie, la lutte contre celle-ci passe par l’information, l’éducation et la communication : « Le pire fléau de notre époque est l’ignorance! L’ignorance crée l’isolement, qui à son tour crée la méfiance, la peur. Avec tant de mauvaises informations sur l’homosexualité diffusées depuis des centaines d’années, ce n’est pas une surprise que l’homophobie existe encore! » Concrètement, elle conseille aux étudiants qui doivent composer avec l’incompréhension de leurs pairs de chercher les réponses à leurs questions auprès de bonnes ressources : organismes, professeurs, intervenants et scientifiques. Il sera alors plus facile de répondre à celles qui leur seront posées. « Souvent, les homophobes ne réalisent pas à quel point une relation homo ressemble à une relation hétéro. Que les questions qu’on se pose, que les choses que l’on vit sont les mêmes », relativise-t-elle pour conclure.

Agir pour changer les choses

Tiago Graça, 22 ans, étudie l’informatique de gestion au Cégep Ahuntsic (Cégep : acronyme de Collège d’enseignement général et professionnel). Responsable de l’association gaie et lesbienne de son Cégep, Le Placard, depuis le printemps 2006, il s’étonne lui-même du chemin qu’il a parcouru en si peu de temps. Tiago s’explique : « Je suis d’origine portugaise. On nous apprend très jeune qu’il y a plusieurs aspects négatifs dans l’homosexualité. Puis, il y a des raisons de religion. C’est très mal perçu. » Il y a deux ans à peine, cet apprenti informaticien avait une peur bleue d’être identifié comme gai. Après en avoir parlé avec quelques ami(e)s près de lui, il livre ses craintes à une travailleuse sociale qui le réfère au Projet-10 qui promeut le bien-être personnel, social, sexuel et mental des jeunes de 14 à 25 ans se questionnant sur leur orientation sexuelle. Il participe à des groupes de discussion régulièrement. C’est la révélation! Il prend conscience qu’il n’est pas seul à vivre cette situation difficile, gagne en confiance et décide de faire le grand saut : « J’avais besoin d’être authentique auprès de mes parents, peu importe la réaction qu’ils auraient », confie-t-il.

Sa sortie du placard n’est pas sans causer des remous au sein de sa famille. Après un déménagement ardu, mais salutaire, Tiago amorce une étape cruciale dans son processus d’affirmation : « Mon déménagement était nécessaire, conclut-il. Signe de mon autonomie et de mon indépendance, il a modifié la perception de mes parents à mon égard qui, même s’ils me voient toujours comme leur petit enfant, me respectent. » Ainsi dynamisé, Tiago commence à s’engager activement dans sa communauté. Il assiste aux réunions de la Coalition jeunesse montréalaise de lutte contre l’homophobie où son énergie est remarquée.

On lui propose d’agir en tant qu’émissaire à la Coalition MultiMundo qui regroupe des organismes communautaires et des individus qui travaillent avec une clientèle LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres) provenant des diverses communautés ethnoculturelles de Montréal. Elle est fondée officiellement le 8 mai 2006. Quelques semaines avant cela, il est approché par AlterHéros, et accepte la présidence de cet organisme qui gère un site Internet afin de contrer, par l’éducation et la communication, l’homophobie. Entre-temps, il s’implique également au sein du Regroupement d’entraide pour la jeunesse allosexuelle du Québec (REJAQ) dont la mission est de favoriser, auprès de la société québécoise, la compréhension et l’acceptation de la diversité sexuelle des jeunes de 14 à 30 ans. Ces temps-ci, il travaille à recruter des membres pour l’association LGBT du Cégep Ahuntsic : « Nous avons de la difficulté à recruter des gens parce que, comme moi auparavant, ils craignent d’être pointés du doigt. »

«Les premiers contacts au Cégep avec les gars hétéros ont été moins évidents»

Il y a quelques années, Sébastien Huard, 20 ans, s’est investi dans l’Association gaie et lesbienne du Cégep du Vieux-Montréal (AGLCVM), avant de migrer au Cégep de Maisonneuve pour étudier en multimédia. C’est durant cette période qu’il annonce à ses parents son homosexualité. Le fait d’être gai ne lui a jamais réellement posé de problèmes, acceptant même les résistances exprimées par ses parents. « J’ai respecté leur façon de penser », affirme-t-il, avant de préciser que la relation s’est améliorée depuis ce temps. Durant ces années militantes, il apprend beaucoup de ses collègues : « J’ai compris que la meilleure attitude à avoir, c’est d’accepter les gens tels qu’ils sont. De ne pas poser de jugement sur eux. » Pas si simple, lorsqu’on se fait servir la médecine inverse : « Les premiers contacts avec les gars ont été moins évidents. Je savais que je ne devais pas trop leur parler. »

Au local de l’association, il trouve du réconfort, mais surtout des gens avec qui discuter. Sans forcer les choses, les contacts avec les autres étudiants évoluent. « Au départ, j’étais ami avec les filles. Comme elles ont une influence sur les gars… Après trois ans, il n’y avait plus de problèmes! », lance-t-il avec une pointe d’humour. Sébastien se rappelle que la distance entre lui et les autres gars s’est estompée au fur et à mesure qu’ils se sont côtoyés. L’homophobie initiale a fait place à la curiosité : « Je me rappelle avoir passé des midis à répondre à leurs questions. Avec le temps, sans m’imposer et en restant moi-même, ils m’ont accepté. »

Evangeline Caldwell enseigne depuis plus de 20 ans au département de psychologie du Collège Vanier. Militante féministe de la première heure et ardente défenseur du droit au mariage entre conjoints de même sexe dans les médias, entre autres, elle abonde dans le même sens qu’Amélie : « La question de l’amour, du respect de l’amour, est un message qui porte de nos jours. » Selon elle, le vent tourne au Québec. « Depuis les huit dernières années environ, je sens que les droits humains sont au centre des préoccupations des Québécois qui jugent la discrimination dépassée », constate-t-elle. Elle attend beaucoup des conclusions d’un rapport sur la situation des gais et des lesbiennes à l’école qui sera émis par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Pour la première fois, un portrait général de la situation sera connu, endossé par notre gouvernement, et des recommandations seront émises afin d’y remédier.

Entre-temps, Evangeline Caldwell met toutes ses forces au service des étudiants de son école qui ne possède pas encore d’association étudiante LGBT. Elle s’occupe depuis un an d’un « espace positif » – de l’anglais positive space – nommé Open Door Network qui propose des événements sur les questions d’orientation et d’identité du genre aux élèves et au personnel enseignant et qui forme le personnel du collège (cadres inclus) sur ces thématiques-là. Evangeline Caldwell se réjouit du support de la direction du Collège Vanier qui a même débloqué un budget pour cette initiative. Le volet formation remporte d’ailleurs un franc succès : environ dix-huit personnes le suivent par session. Ainsi formées, elles restent à la disposition des élèves qui ont besoin d’écoute et de support. Un logo, clairement identifiable, indique à ces étudiants l’ouverture d’esprit et la volonté d’aider de la personne qui l’affiche. Par cet « espace positif », Evangeline Caldwell tente de démystifier l’homosexualité et ainsi, peut-être, dissiper la crainte chez les étudiants de participer à une future association LGBT.

Patricia Caissy, 26 ans, étudie en ressources humaines à l’Université du Québec à Montréal. Elle raconte comment elle a connu le REDS, le Regroupement étudiant pour la diversité sexuelle, après avoir affirmé sa bisexualité : « Je n’avais pas de modèles, pas d’amis gais, pas de ressources! Alors j’ai été voir l’association gaie de mon université pour connaître des gens qui ressentaient la même chose que moi. » Celle qui est aujourd’hui la vice-présidente aux activités du REDS a bien retenu la leçon : « Moi, je suis bien dans ma peau et à cause de ça, les gens qui me rencontrent peuvent me poser les questions qu’ils veulent et je vais leur répondre du mieux que je peux. Si ces gens préfèrent alimenter leur crainte ou leur haine envers moi sans me connaître, tant pis pour eux! » Appelée à commenter le quotidien des gais et des lesbiennes à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), qui n’affiche pas toujours le même aplomb, elle nuance : les homosexuels doivent s’afficher différemment selon leur domaine d’études. L’étudiant gai en théâtre ou en mode pourra s’afficher tandis que l’étudiant en économie ou en génie va peut-être garder sa vie privée pour lui. » Pour contrer ces inégalités, Amélie croit beaucoup aux vertus de l’engagement social. Et pour ceux qui douteraient du dynamisme de la jeunesse, elle lance : « Les jeunes travaillent sur le terrain, à s’afficher, à s’entraider, à faire du bénévolat, mais surtout à trouver des nouvelles façons de s’intégrer dans la société. »

«On demande aux homosexuels de se sortir du ghetto du Village gai »

Elle semble avoir trouvé dans le REDS un moyen de favoriser la diversité des points de vue, d’encourager la compréhension mutuelle, l’harmonie entre les individus et l’effacement des préjugés. « Le REDS n’est pas un groupe exclusif à la communauté LGBT. Nous représentons la diversité sexuelle, donc nous avons comme membres des gais, lesbiennes, hétéros, bis, etc. Ainsi, on demande aux homosexuels d’être ouverts d’esprit et de se sortir un peu du ghetto du Village gai et aux hétérosexuels de comprendre la dynamique d’entraide de la communauté LGBT et de constater les similitudes entre leur réalité et celle des homosexuels », explique-t-elle. D’autre part, elle déplore le fait que l’homosexualité soit quasiment évincée dans les cours de son université : « Une chose est sûre, c’est qu’il n’y a qu’un cours qui traite d’homosexualité à l’UQÀM et il est optionnel, même pour les étudiants de sexologie... »

«La diversité sexuelle doit être présente dans tous les cours » - Michel Dorais, professeur

Michel Dorais, professeur et chercheur à la faculté des sciences sociales de l’Université Laval à Québec, s’inquiète aussi du fait qu’il n’existe à peu près pas de cours sur l’homosexualité dans le parcours collégial et universitaire d’un étudiant au Québec. « Par exemple, au niveau de la maîtrise, il n’existe qu’un cours qui traite de la diversité sexuelle à l’Université Laval. Il n’y en a qu’un! Et oui, c’est moi qui le donne… Et il ne se donne qu’aux deux ans parce qu’on pense que peu de personnes y seraient intéressées. Quand on pense qu’il y aurait autant de personnes LGBT que d’anglophones au Québec… On donne des cours complets sur les mouvements des femmes et des autochtones. Je suis très content de cela, mais pourquoi n’en est-il pas de même pour les gais et les lesbiennes? » questionne l’auteur de Éloge de la diversité sexuelle (1999).

D’après lui, ce silence s’explique par le caractère encore marginal de l’homosexualité, un sujet qui ne serait pas « digne » d’être abordé en classe. Il félicite l’initiative de certains professeurs qui introduisent dans leur cours cette thématique, mais d’après lui, cela n’est pas suffisant. « Si je parle du développement humain et que je ne mentionne pas qu’une personne puisse se développer avec quelqu’un du même sexe, je ne m’en sors pas. L’aspect de la diversité sexuelle doit être présent. Il faut qu’on en parle partout, dans tous les cours qui parlent de l’être humain », renchérit-il.

Consulté sur la place des associations étudiantes LGBT dans les Cégeps et les universités, Michel Dorais n’est pas complaisant : « Les groupes de jeunes gais et lesbiennes sont importants, mais ce n’est pas suffisant. Les jeunes des associations doivent faire du démarchage. Ils doivent exiger que leur réalité soit abordée dans les milieux d’éducation. » D’après lui, le rôle des professeurs est aussi important. « Ça en prend deux ou trois ouverts d’esprit pour que l’ambiance générale change », convient-il. Pour lui aussi, l’ignorance est source d’homophobie. Ayant déjà reçu des menaces de mort parce qu’il avait écrit en faveur du mariage gai, Michel Dorais persiste et signe : « Il faut prendre la parole socialement. Se défendre soi-même. Je souhaite que les jeunes exigent quelque chose pour eux-mêmes : exiger d’être reconnus, exiger que lorsqu’on parle de la nature humaine, on doive parler d’eux. C’est normal, sinon c’est de l’homophobie passive. »

Des lendemains meilleurs?

La vie des étudiants gais et lesbiennes au collégial et à l’université est loin d’être toujours facile. Heureusement, ces derniers peuvent de plus en plus compter sur des associations qui leur sont destinées pour briser leur isolement et faciliter leur propre acceptation. Il est encourageant de savoir qu’à l’initiative d’étudiants et de professeurs dévoués, les préjugés à leur égard tendent à s’estomper à condition qu’un travail de sensibilisation, de communication et d’éducation soit effectué afin de contrer l’ignorance. À en croire les parcours brillants des étudiants rencontrés, il est possible d’entrevoir pour la jeunesse LGBT autant de réussites édifiantes dans un contexte moins ardu.

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